Cet article est issu du magazine Management

Autrefois manager dans une agence immobilière de Marseille, Dominique de Saint Laurent était perçue comme froide et directive. «J’avais surinvesti le rôle de l’autorité jusqu’à me travestir, avec une obsession : le chiffre d’affaires.» Il a fallu un burn-out pour que l’armure se fende. La jeune femme, épaulée par des coachs, s’est résolument débarrassée de ses vieux schémas. Depuis quatre ans, elle développe avec brio sa start-up WeLoge, en cherchant avant tout à rendre ses 70 collaborateurs heureux. «Je ne réfrène ni ma sensibilité ni ma spontanéité, et j’accepte de ne pas tout savoir.» Cet alignement avec sa vraie nature a rejailli sur ses critères de recrutement. L’entrepreneuse ne sélectionne que des cadres au chômage ou en reconversion, «qui ont envie d’être eux-mêmes», souligne-t-elle. Chez WeLoge, les agents commerciaux, baptisés «indépendants intégrés», sont considérés comme des associés. La formation est permanente, comme le partage des bonnes pratiques et des échecs. L’ambiance ? «Presque celle d’une bande de potes», se réjouit Dominique de Saint Laurent.

La manager n’est pas seule dans son cas. Depuis quelques temps, le modèle traditionnel de réussite, fondé sur le succès, le statut et la richesse s’effrite, au profit de l’accomplissement de soi. «La pandémie précipite cette tendance», note le coach de dirigeants Fanchic Babron, à la tête du cabinet Axile. Selon lui, notre quête d’épanouissement ne peut trouver satisfaction que «dans la réalisation d’une mission librement choisie et porteuse de sens». Le Graal n’est plus d’être meilleur que l’autre mais d’être au meilleur de soi, en lien avec les autres. Mais alors, comment connaître sa propre singularité ? Et de quelle marge de manœuvre disposons-nous en entreprise pour l’exprimer ?

Point de départ : être au clair avec sa boussole personnelle

«L’exploration profonde de soi n’a rien à voir avec un ego-trip», rassure Stéphane Dieutre, fondateur de l’Institut de coaching Aristote et auteur de Et maintenant, que vais-je faire ? (à paraître chez Alisio). En se penchant sur son parcours, chacun peut y déceler des indices de sa vocation. Efforcez-vous, par exemple, de raconter des situations d’énergie, de réussite, où vous vous êtes senti pleinement vous-même. Cette technique, dite de l’«appreciative inquiry», donne de bons indicateurs de ce qui nourrit notre satisfaction, estime le dirigeant de l’Institut Aristote. Lui-même a fourni ce travail pour préciser sa mission, celle d’aider les autres à trouver leur voie.

Autre piste proposée par l’expert : rédiger son propre éloge funèbre ! Qu’avez-vous envie d’avoir accompli ? Quelle trace de votre richesse singulière restera-t-elle vraiment ? Vous pouvez vous aider de la psychologie positive, en recensant vos prédispositions, souvent innées, et la façon dont elles se combinent entre elles. Les pionniers de la discipline, Martin Seligman et Christopher Peterson, ont identifié 24 forces, regroupées en six grandes vertus. «Ces forces permettent de prendre en compte des qualités jusque-là rarement associées à la vie professionnelle, telles que la capacité à s’émerveiller, la gentillesse ou l’aptitude à créer des relations profondes», apprécie Stéphane Dieutre. Autre outil, plus sophistiqué encore, d’aide à la réalisation de soi : la pyramide de Dilts. Développé par un spécialiste de la programmation neuro-linguistique, ce modèle à six étages – de la base, l’environnement où l’on évolue, au sommet, le monde auquel on se sent appartenir – a le mérite de permettre d’identifier ses points de blocage.

N’attendez pas de votre boîte qu’elle vous donne du sens !

Dernier outil en vogue pour faire le point sur ses besoins et envies, l’Ikigai. En japonais, le terme signifie à la fois «joie de vivre» et «raison d’être», soit un bon motif de se lever tous les matins. Selon cette méthode, notre équilibre repose sur quatre sphères : ce que l’on aime faire, ce que l’on sait faire, ce qu’on apporte au monde, ce pour quoi on veut être payé. Une parfaite combinaison de ces éléments est la clé d’une bonne harmonie intérieure. Une alchimie très personnelle et, selon Cédric Bruguière, consultant RH et auteur de Je manage ma vie (Eyrolles), évolutive : «Elle correspond à la période de vie que nous traversons.» Quand on est en quête de sa propre mission managériale, l’enjeu n’est pas d’être dans la performance, mais dans le vivant.

«Aujourd’hui, je me suis fixé le rôle de celui qui permet à d’autres de réussir», explique ainsi Christophe Juniet, directeur de la technologie (CTO) chez Memo Bank, une jeune pousse qu’il a lancée l’an dernier pour accompagner les PME et les entrepreneurs. Au fil de son évolution de carrière (Crédit agricole, Criteo…), il est passé d’opérationnel à manager, de celui qui fait à celui qui fait faire. Et il s’est alors demandé comment s’épanouir dans cette nouvelle fonction, «perçue comme ingrate». «Maintenant, ma fierté, c’est de faire monter mes collaborateurs en compétences, quitte à accepter que la réussite soit moins immédiate que dans un job de production.» Chez Memo Bank, où il coiffe une vingtaine de personnes, il s’est d’emblée présenté comme un capitaine de navire, celui qui fixe la destination mais laisse à chacun l’initiative du chemin.

 

Pour Damien Lambert, fondateur à Agen du cabinet de conseil en transformation Semer & Grandir, le déclic s’est produit lorsqu’il a pris un congé parental, au début de sa carrière. «C’est en préparant mes collaborateurs à mon absence temporaire que j’ai commencé à changer de posture. A faire confiance et à accompagner plutôt qu’à tout décider. J’ai compris que mon combat personnel serait de faire grandir mes équipes.» Gratifiant, selon lui, par exemple quand il a vu cet intérimaire, sans grande confiance en lui, piloter au bout de quelques années une équipe de six personnes sur une chaîne de production et se porter volontaire pour former des jeunes.

Le choix de notre «utilité» dans le monde relève de notre liberté intérieure. «N’attendez- pas de votre boîte qu’elle vous donne du sens. Construisez-le vous-même», exhorte Anaïs Georgelin, fondatrice de SomanyWays, qui accompagne les individus et les entreprises dans leur épanouissement. Il n’y a pas que dans les métiers à impact, tels que chef de projet climat ou conseiller en transition neutralité carbone, ou dans les entreprises à mission que l’on peut se réaliser. «Certains secteurs ont un sens par nature, comme la police, l’éducation ou la justice. Pourtant, les salariés n’y sont pas plus épanouis qu’ailleurs», remarque d’ailleurs Yves Golder, auteur du livre Le management fertile (Gereso). Plutôt que de fantasmer sur la raison d’être d’une entreprise, il préconise de se focaliser sur celle du manager. «Elle a le mérite d’être claire : la raison d’être d’un manager, c’est son équipe», tranche-t-il. Et la marge de manœuvre est large, y compris dans un environnement contraint. Elle est faite de petites choses, comme accueillir des stagiaires de classe de 3e quand on veut promouvoir la formation des jeunes. Mais aussi d’engagements plus audacieux, à l’image de cet homosexuel, membre du comex d’un grand groupe, qui a choisi de faire de l’inclusivité son combat et qui s’est proposé comme représentant LGBT de son entreprise.

Chacun, à son échelle, peut contribuer à améliorer le monde

Quand il était responsable RH chez Carrefour, Cédric Bruguière avait à cœur de promouvoir les minorités, en travaillant en partenariat avec des missions handicap ou en allant chercher des jeunes de banlieue avec l’association Nos quartiers ont du talent. «Cela donnait du sens à mon travail», se souvient-il. Œuvrer pour une cause qui résonne en nous ne se fait pas toujours de façon militante. Ainsi, du temps où il officiait comme commercial puis aux RH dans des grands groupes tels que Danone, Yves Golder n’a jamais clamé, au nom de l’équité, sa défense de la promotion des femmes. «Je l’ai fait, c’est tout. Et je m’en suis toujours félicité en terme de performance.» Quand il rejoint Bledina à la fin des années 1980, les forces de vente ne comptaient aucune femme. Dix ans plus tard, celles-ci représentaient la moitié des effectifs.

Parfois aussi, nos inclinations profondes rejoignent celles de l’entreprise. C’est le cas pour Virginie Creance, directrice des opérations et des productions du studio d’animation Superprod. Adepte de la discrimination positive, la jeune femme est encouragée à recruter des profils aux backgrounds culturels ciblés pour coller à la nature de tel ou tel projet, par exemple cette série mettant en scène de jeunes héroïnes africaines. De l’auteure, Zambienne, au directeur artistique, en passant par les graphistes et les producteurs, l’essentiel de l’équipe partage cette connaissance intime du continent noir. «Sept de nos projets en cours nous font vivre un grand écart ethnique. J’adore ce mélange», s’enthousiasme la directrice, pour qui manager, «c’est donner envie». De quoi donner envie, justement.

 

Mieux comprendre notre rapport au travail

La quête de sens au boulot ne touche pas seulement les jeunes ou les super-diplômés. Encore faut-il, de ce concept un peu flou, faire émerger une réalité. Car «notre rapport au travail est subjectif et évolutif», souligne Anaïs Georgelin, fondatrice de SomanyWays. D’où l’intérêt, préconise-t-elle, de se questionner à intervalles réguliers – une fois par an, par exemple –, avec des outils rapides, comme le Workoscope concocté par les experts de sa start-up. En 60 questions, cette grille de lecture en ligne permet de repérer le moteur qui nous anime à un instant T. Que vous cherchiez l’épanouissement personnel (mode introspection) le moyen d’inventer demain (mode transformation), celui d’avoir une utilité sociétale (mode impact), celui de gagner votre vie (mode équilibre) ou enfin celui d’acquérir une position sociale (mode ascension), ce questionnaire vous permettra d’identifier les actions à mener en priorité. Ainsi, si vous êtes un manager en mode «transformation», vous pourriez vous atteler à un sujet innovant et le proposer à votre hiérarchie…